Signes non pour être complet, non pour conjuguer / mais pour être fidèle à son ‘transitoire’ / Signes pour retrouver le don des langues / la sienne au moins, que, sinon soi, qui la parlera ? H.M.
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31 octobre 2006

Les olives

Je suis de retour à Lausanne.
Ces huit jours ont été profitables à tout point de vue. La cueillette a été relativement fructueuse. Les contacts ont été noués. L’été prolongé en une parenthèse heureuse, saugrenue, puisque la température, avoisinant les 30° C en journée, retombait le soir et nous obligeait à allumer un feu de cheminée.
Nouveauté du voyage, en avion, depuis Genève (escale à Rome). À l’aller, départ à l’aube. À midi, on déjeunait chez la tante à Messine. Sentiment de distance abolie. Sur place, un repas de bienvenue mettait très vite les points sur les i: on ne badine pas avec les produits locaux. Comme la grand-mère ne saisit pas pleinement l’enjeu de l’année à venir et ce qui m’est arrivé, elle me dit: «Bravo pour ta nouvelle situation!» Situation, c’est bien ça. Une nouvelle situation, qui fait que les êtres, les choses, se situent différemment les uns par rapport aux autres. À cause des couleurs, peut-être, déjà: le vert a remplacé le jaune sur les contreforts, autour de la ville.

Ma tante nous prête sa VW. On prend la route. On rentre au village, à 40 km de là. Nous nous reposons, après avoir défait nos valises et enlevé les plastiques qui recouvrent le lit matrimonial et le canapé-lit. Mon père s’en va pour une première inspection. Il rentre inquiet: peu d’olives sur les arbres. L’inquiétude sera vite dissipée: les olives, pour la plupart, sont parterre. Elles sont tombées quelques jours auparavant. Le vent a soufflé très fort. Ce n’est pas grave, seulement un peu plus fatigant.
Dimanche, salutations d’usage, balade, moustiques. Et puis les chiens, dont j’ai une peur bleue, qui sont partout. Cave canem. Je pense à mon séjour de trois mois, l’année prochaine. Comment se balader seul, ici, quand, à tout bout de champ, de coin, de porte dérobée, ils vous aboient à la figure en se démenant comme des diables? Ils veulent s’amuser, ils ont faim, d’accord. N’empêche… J'ai du pain sur la planche et ce ne sera pas une partie de plaisir.
À midi, la tante arrive, plus tôt que prévu. Elle restera toute la semaine, nous prêtera main forte.

Du lundi au vendredi, c’est la récolte. Mon père et ma tante s’en iront très tôt, nous les rejoindrons vers 9h. On emportera de quoi se sustenter pour éviter de revenir au village. Pane, mortadella, frutta, insalata. Mardi, le grand luxe. On fera un feu pour réchauffer la pasta e fagioli. L’après-midi, le rythme sera moins intense. On se déplacera, suivant les arbres les plus chargés.
En gros, il y a trois phases. Phase 1: on ramasse les olives qui sont tombées. C’est le travail le plus harassant. On en a vite plein le dos, et les jambes ne sont pas en reste. Phase 2: on déplie les filets sous l’arbre, on grimpe sur l’échelle, sur le tronc torsadé, sur les branches les plus solides, on secoue, on cueille les olives, ou plutôt on les détache et elles tombent; parfois, on use d’un bâton si elles restent inatteignables. Pieds ankylosés mis à part, c’est assez agréable. On grimpe de plus en plus haut, la tête se fraie un chemin dans les branchages, alors on voit le tapis des champs qui s’étale jusqu’à la mer.

Phase 3: on replie les filets, les olives se rassemblent. On ôte les feuilles, les frondaisons prises dans les filets ou qui sont tombées avec les olives. On verse le résultat dans un cageot ou dans un sac de toile.
Mercredi, pause. Nous descendons à la mer. Mon père et ma tante continuent. C’est à eux que nous devons l’essentiel de la récolte, à leur constance, leur ardeur, leur dextérité, eux qui ont ramassé vingt olives à mains nues quand nous finissons d’en sortir deux avec nos gants de sous les orties.
Samedi, rendez-vous au… au… comment dit-on oleificio en français? C’est là où les olives naviguent d’un récipient à l’autre, pesées, lavées, pilées, jusqu’à ce que, d’un embout amovible (pour n’en perdre aucune goutte), l’huile, d’un jaune temporairement trouble – un dépôt se formera et tout s’éclaircira – se déverse dans les bidons.
C’est un succès. Sur une petite quinzaine d’arbres, nous avons récolté 325 kilos d’olives et en avons tiré 60 litres d’huile.

Hélas, nous n’en rapporterons pas un centilitre. La soute à bagages n’est pas indiquée pour le transport de ce genre de denrée.
Le week-end, emplettes, la mer encore, les petites villes qui n’en sont pas, vitrines improbables, visages enluminés, effondrements.
Déjà on est sur le bateau. Le temps a changé. Il vente comme avant notre arrivée. Dans le Financial Times, on pointe la faiblesse des investissements européens en Recherche et Développement.