Signes non pour être complet, non pour conjuguer / mais pour être fidèle à son ‘transitoire’ / Signes pour retrouver le don des langues / la sienne au moins, que, sinon soi, qui la parlera ? H.M.

20 juin 2007

Je rentre demain

Je leur dis que je m’en vais. Certains disent que j’ai raison. Que j’ai de la chance de ne pas vivre ici. D’autres me demandent si je me suis plu dans le village. Ça m’a plu, oui. J’aimerais bien vivre ici, n’est-ce pas? Euh...

Circonstances.
Tous ils savent que j’étais ici. Tous ils savent qui j’étais. Ils m’ont vu passer avec ma Ford ou à pied, le Nikon en bandoulière. Ils m’ont vu, le casque sur les oreilles, pendant les élections.
Ils m’ont laissé faire. La plupart, je crois, approuvaient en silence. Ceux qui m’ont interpellé voulaient seulement officialiser leur accord. Comme hier, le correspondant local de la Gazzetta del Sud. 45 ans de chroniques, et quelques-unes dans le Corriere della Sera. Il a dit que j’ai un bel appareil photo. (Il sous-entend peut-être que je ferais mieux de viser autre chose que la station-service.) Ensuite, il m’interroge. Est-ce que je sais où se trouvait le village, à l’origine? Est-ce que j’ai vu les tombes creusées dans la colline? Un peu. Il montre la colline. Il marque son territoire. Je crois qu’au fond, il me dit que j’étais un invité, un simple invité. Je n’aspire à rien de plus.
Il fera un papier sur mon bouquin. – C’est en français. – Ah bon? On s’arrangera.
L’ami de mon cousin, samedi soir, m’a dit qu’il veut faire plus. Il veut organiser une fête pour le livre. Je dis que c’est un roman, que ça ne porte pas à proprement parler sur le village. Il dit que ça ne fait rien, que c’est un livre et que je suis d’ici.
Certains me disent que mon dialecte est parfait. Certains me disent que je parle italien comme un étranger – un étranger qui parle parfaitement l’italien, mais dont on sait, dès la deuxième syllabe, que c’est un étranger.
Mon grand-père, c’était le petit qui venait au bar de la place, celui qui n’existe plus? Oui. Mon père, c’est celui qui porte la moustache? Oui.
L’été est là. J’endosse mes habits d’été, mes habits colorés. Ils me disent que c’est plein de couleurs. Je leur dis que c’est mon uniforme de touriste. Sourire.
Un uniforme, pas un déguisement. Je me suis déguisé en villageois. Juste pour le printemps. Je vais ranger le costume dans le roman. Cela, je ne le leur dis pas.
Ils me disent bon vent.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

ce qui vient comme ça, c'est la gorge serrée, les yeux qui poussent vers dehors et tirent dans les orbites, et freinent des quatre fers les larmes, maintenant que tu rentres, que tu reviens, ce qui s'impose c'est au contraire le départ, et pas le récit du départ, mais le départ ressenti avec les tripes, ici, comme départ d'ici, alors que, justement, tu rentres...

c'est que le fil de parole se détache à un bout, ou plutôt c'est que ce bout insulaire revient avec toi, moulinet qui se rembobine, toute l'île condensée dans un seul corps, corps du retour, et toute la distance géographique ramenée à la singularité du regard de celui qui sera là, demain

on sait depuis toujours que les îles sont des radeaux, que les constellations voyagent

tu reviens et il me semble que tu pars; le langage comme porte battante, passe, repasse, encore, encore

et le livre à la clé de ce mouvement

bienvenue, ami!

Anonyme a dit…

Un article que tu n'as peut-être pas vu, parce que tu étais en Sicile, vraisemblablement, ou que tu as peut-être lu et commenté, au contraire, mais comment le saurais-je puisque je reviens sur ton blog après plusieurs mois, à la faveur d'un mail envoyé à tes collègues à propos de tout autre chose, qui m'a fait penser "tiens": Jourde, un autre écrivain, a parlé de son village, celui de son enfance, ou celui qu'il a rattaché à son enfance, et il semble que cet exercice comporte des risques. C'est à la fois rassurant (sur les puissances de la littérature) et navrant (de malentendus, voire de maladresses, voire de ressentiments).

Il y avait une page dans "Le Monde", cette troisième page que je lis parce que c'est souvent une enquête un peu palpitante, même quand le style "pseudo-grand reporter" (i.e. je-me-mets-en-scène-sur-les-lieux-en-donnant-les-moindres-détails-de-ce-que-j'ai-observé-dans-une-sorte-de-parodie-du-roman-réaliste) m'agace comme un bruit de fond que je n'arrive pas à dissiper à la lecture.

Voici le lien: http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3260,36-926471@51-926598,0.html. Comme ils font payer les lecteurs assez vite après parution, peut-être que cette page ne sera plus accessible sans une carte de crédit dans les jours qui viennent. As-tu des amis banquiers?