Signes non pour être complet, non pour conjuguer / mais pour être fidèle à son ‘transitoire’ / Signes pour retrouver le don des langues / la sienne au moins, que, sinon soi, qui la parlera ? H.M.

02 mai 2011

Paris carnet de la patience 22

Emma Bovary recrache, une fois son suicide accompli, un liquide noir comme de l’encre...
Cher Jérôme,

Je viens de terminer un nouveau chapitre de ma thèse. Je m’autorise un peu de surf et je lis (et relis) tes Lettres au pendu.

À mon tour, je prends la plume (je clique sur "Nouveau document"). Elle me coûte, cette plume. Depuis la nuit des temps (l’époque où je griffonnais, au stylo bille, le début d’un roman où j’allais retrouver en Lamborghini mon ami Francisco, rentré dans le pays des siens en Espagne et que je retrouvais en effet – lui avait une Ferrari), depuis l’époque, donc, où j’envisageais le langage comme un espace (comme une soupe), je m’en suis tenu au griffonnage, à quelques exceptions près. Comme le pendu, peut-être, je m’étais interdit cet espace, tant que je ne saurais pas écrire.

Mais je ne le saurai jamais.

Quand j’ai réalisé cela, je me suis lancé. J’ai participé à des concours, encouragé par mon frère, d’abord. Et j’ai reçu des prix. Financièrement parlant, ce fut spectaculaire. Un bouquin, puis 1000 francs, puis 100000 francs. Du coup, le doute m’assaille à nouveau. À ce train-là, je suis condamné à viser le Nobel. Je crois que ça rapporte un million.
Je ne plaisante qu’à moitié. Pour moi, longtemps, ce fut toujours: Rimbaud, ou rien. Michaux, ou rien. Garcia Marquéz, ou rien.

Donc rien, ou si peu.

Tu comprends donc pourquoi ta prolixité m’effraie. Dans mon imagination, tu écris tout le temps. Mais je trouve aujourd’hui dans tes lettres une réponse très simple aux questions que je me pose: le pendu, écris-tu, s’enfermait, ou plutôt, s’éloignait de son lecteur, à force de virtuosité (j’exagère, mais on exagère souvent quand on est touché); tandis que, pour toi, la langue écrite doit parler aux proches, aux plus proches comme aux Très Grands Poètes du Temple de la Littérature, aussi étrangers, quand ils sont fantasmés, que des Extra-terrestres.

Et j’aime la lettre où tu te racontes, lisant assis sur l’escalier d’une maison d’Italiens, les Discours de Rousseau, et cette sensation, levant les yeux du livre pour voir passer une fille à bicyclette, étrange, hallucinante – cette juxtaposition des mondes, c’est la littérature.

Voilà.

Tu m’apprends qu’il y a deux sortes d’étrangeté: celle du pays lointain et celle du père et de la mère. La littérature est à la frontière, infime ou distendue immensément.

Tu vois. Déjà, je suis essoufflé.

Mais je ne vais pas me taire. Et, si tu le veux bien, je publierai cette "lettre" (très travaillée, tu vois, à cet effet), sous la forme d’un post, sur mon transblog, un de ces jours.

Bien à toi,
F.

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