Signes non pour être complet, non pour conjuguer / mais pour être fidèle à son ‘transitoire’ / Signes pour retrouver le don des langues / la sienne au moins, que, sinon soi, qui la parlera ? H.M.

14 mai 2011

Paris carnet de la patience 24

Passé quelques heures sur Youtube. Digressé de Rossellini, Fellini, Pasolini à Godard (disant à peu près que Roma città aperta, c’est la rédemption de tout un peuple qui a "trahi deux fois"), puis à Spielberg, puis à Kubrick, etc, etc. Me suis attardé, entre autres, sur une interview de Woody Allen par Godard. Frappé par les yeux de "WA", inquiets, anxieux de voir ce qu'allait produire chacune des prises de parole de son interlocuteur… L'un des clous de l’entretien, me semble-t-il, ce sont les maisons, les constructions de New York, telles que WA les filme et les monte dans Hannah et ses sœurs. Godard commence par dire qu’il a beaucoup aimé ces plans… Mais, au fil de l’échange, il apparaît que la manière de filmer ces maisons, d’après Godard, serait un exemple de l’influence de la télévision sur le cinéma: notamment en ce que les plans sont très brefs et se succèdent à un rythme soutenu – le même qu’adoptent les séries ou les journaux télévisés. WA répond finalement: "C’est possible. Je ne sais pas."



Ma lecture de cet entretien, je le sentais au moment même où je le visionnais, était traversée par la question, ou le motif, du rapport assez complexe entre l’Américain et l’Européen. S’y sont mêlées des choses du type: cinéma commercial/cinéma d’auteur, premier degré/second degré (l’Européen serait "au second degré" jusqu’au fond de son être et j’attribue à cela, en partie, l’inquiétude de WA), etc, etc. Ce qui ajoutait encore au sentiment qu’un Océan nous sépare, c’est le fait que Godard, bien qu’il essayât de s’exprimer en anglais, était accompagné d’une interprète. Comme si les propos de l’Européen, quels qu’ils soient, ont besoin d’être interprétés, d’être traduits au double sens de ce mot pour un Américain. Et cela n’allait qu’à sens unique: jamais Godard ne donnait l’impression de n’avoir pas bien saisi les réponses ou les développements de WA. Mais c’est que ce dernier, comme par un fait exprès, se cantonnait précisément au "premier degré", au sens premier, au sens propre, au sens concret des réflexions proposées: parlant, par exemple, de la salle de cinéma, de ses murs, de ses décors, stucs et rideaux quand Godard lui demandait ce qu’il pensait des conditionnements possibles du cinéma par la télévision.



Godard n’est pas indifférent à cet aspect matériel. Il a eu l’occasion de s’exprimer à ce sujet. Une autre vidéo de Youtube (je ne la trouve plus) le montre sur une scène, à l’occasion d’une cérémonie (peut-être les Césars). Et il dit: "Quand on entre dans une salle de cinéma, on doit lever la tête. Quand on entre dans une pièce où se trouve une télévision, on doit la baisser. Donc le cinéma a encore un bel avenir devant lui." (Applaudissements.)

2 commentaires:

PhilRahmy a dit…

ces rencontres entre l'Américain et l'Européen, je me suis demandé, à te lire dans le prolongement de ma propre rencontre avec PA, si on n'en revenait pas au besoin de mettre un nom, de trouver une raison à l'écrat qu'on expérimente face à quelqu'un avec qui on imaginait avoir des affinités et qui s'avère parfaitement impénétrable, ou, pire, vaguement antipathique... il m'a semblé que les choses étaient d'une trivialité telle, qu'elle brisait toute tentative de reformulation de ce ratage par l'intelligence, toute explication, tout sauvetage, toute réappropriation

il est difficile d'admettre qu'il puisse en être ainsi, sans plus, que le ratage se résume à un bête manque de sympathie, sans s'accuser soi-même, de toutes les faiblesses (je n'étais pas en forme ce jour-là, pas concentré, pas à l'écoute, etc... etc...nul, en somme), ou sans rejeter la faute sur l'autre (trop vaniteux, trop fatigué, trop ceci ou trop cela...)

cette question que tu soulèves, par exemple, du "permier et du second degré"... je me suis aussi abrité derrière cette possibilité - elle est rassurante - elle préserve la possibilité d'un rapport de force entre ceux qui se sont manqués et, donc, celle d'une rencontre malgré tout, d'un échange qui aurait eu lieu dans la coulisse, comme malgré soi, difficultueusement, sous-jacent, en creux, d'une compréhension toute de sous-entendus... et même d'une certaine d'une complicité ? La disjonction du dialogue venant, en quelque sorte, témoigner de sa prfondeur, de son caractère "essentiel"... évidemment informulable

ceux qui se rencontrent lors d'un tel entretien, celui qui pose les questions et celui qui est censé y répondre, ne dansent pas sur le même pied lorsque les choses tournent mal, ou plutôt quand ce déclic tant attendu ne se produit pas malgré l'implicite de supposées connivences: pratiques ou amis communs, passion pour l'art, etc... Ce hyatus peut-être monstrueux.

peut-être n'y a-t-il pas de meilleure explication, quand les choses avortent, quand les trains se manquent, que celle d'une incompatibilité de caractère, ou d'un bête état d'esprit. Voilà qui ne mène pas loin, tout se réduirait à la situation triviale de deux chiens se reniflant le derrière sans se jeter un coup d'oeil.

manière de revenir, toujours, aux fichus rapports de force - ici, entre WA et FG, sous couvert de bienveillance et d'intérêt de la part de ceuil qui questionne, tandis que celui qui est censé répondre n'a pas envie de mordre à l'hameçon let demeure distant, faussement détaché, faussement accessible, salopement humble et parfaitement assassin

PhilRahmy a dit…

note: "FG" est pour "ce fou de Godard"