Signes non pour être complet, non pour conjuguer / mais pour être fidèle à son ‘transitoire’ / Signes pour retrouver le don des langues / la sienne au moins, que, sinon soi, qui la parlera ? H.M.

07 juillet 2011

Paris carnet de la patience 30

Hier soir, Jean-François m’a téléphoné pour me proposer de me joindre à une petite fête dans un café de Belleville. Je ne sais pas si c’était vraiment à Belleville, mais pas loin en tout cas, tout au bord du 10e. On se retrouve dans un quartier en rénovation que j’ai traversé, l'année dernière, quand je suis allé me promener aux Buttes-Chaumont. Rues étroites. Pente légère. Maisons délabrées. Un écriteau de la ville est tendu, qui annonce leur destruction prochaine et leur remplacement par des édifices de même gabarit. Il y a une place Sainte-Marthe, minuscule, où les terrasses et les bourgeois-bohème s’épanchent. Je me rends un peu plus haut, rue de Sambre et Meuse. C’est exquis, ce café. Pas assez cher, sans doute, dit quelqu’un. Le plafond de l’une des deux petites salles dont se compose l’endroit s’est effondré. Des tubes d’échafaudage le soutiennent. Sur la rue, une grosse machine à ciment. Une fille, dont il se trouve qu’elle travaille pour la société qui est en charge des travaux, nous explique que le sol est glissant par ici. Quelqu’un proclame qu’il n’y aura bientôt plus que des dalles à Paris. Un autre s’amuse: "Glissant? Imagine: Belleville se retrouve à Saint-Michel!" On rit. J’ai joui très vite de ce glissement imaginaire, parce que j’ai la carte de Paris bien en tête désormais. Des couples arrivent, peu à peu. On bavarde.
Nous sommes les-plus-très-jeunes-des-nouvelles-classes-moyennes-qui-se-lancent-dans-la-vraie-vie. Une fille hésite. Elle devrait obtenir sans trop de difficulté un poste d’assistante à Bobigny, mais deux coups de téléphone impromptus lui offrent une alternative: inspectrice de l’Éducation nationale ou, mieux encore, chargée de la coordination inter-universitaire à l’ambassade de France, à Washington. Toutefois, son mari vient d’être nommé Maître de conférences à Montpellier. "C’est un choix de riche", dit quelqu’un. La fille répond: "C’est le choix qui est riche. Moi, pas encore." On rit. L’ami qu’on fête, quant à lui, vient de terminer sa thèse. Une Fondation lui accorde une bourse de 25000 euros pour un séjour à l’université de San Diego. Il raconte que son directeur, à l’EHESS, lui avait proposé deux destinations: Aberdeen ou la Californie. Quelqu’un demande: "Et il t’a laissé combien de temps pour réfléchir?" Rires.
Un couple vient s’asseoir près de nous. Lui est français. Elle est mexicaine. Lui a séjourné longtemps là-bas, au Mexique. Il donnait des cours de français. Il nous parle des narcos, des chansons qui célèbrent leurs exploits, de la jalousie des Colombiens de passage, qui n’avaient pas droit à ce genre d’accompagnement et qui l’ont donc importé, depuis, à Medellín. Il dit que les Mexicains ont supplanté les Colombiens, depuis la mort de Pablo Escobar. Moi, je parle un peu de l’Angleterre.
Ceux qui ont des enfants disent au revoir avant minuit. On bavarde encore un peu, et puis on s’en va, nous aussi.
Je redescends vers le canal Saint-Martin. Je vois un couple danser au milieu de la chaussée.
C’est l’été.

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