Signes non pour être complet, non pour conjuguer / mais pour être fidèle à son ‘transitoire’ / Signes pour retrouver le don des langues / la sienne au moins, que, sinon soi, qui la parlera ? H.M.

17 janvier 2007

Ce qu'on (ne) lit (pas)

L'autre matin, sur France Culture, j'entends un type sympa militer pour une pratique honnête de la citation. Dans les notes de bas de page, par exemple, celles qui servent à indiquer le livre d'où l'on a tiré sa phrase, il propose d'ajouter aux traditionnels "op. cit." ou "ibid." un certain nombre d'abréviations chargées de spécifier le degré de familiarité du citant et du cité. Ainsi, "n. l." pour non-lu (donc lu ailleurs), "v. l." pour vite lu, "l. d." pour lu le début, etc. Dans mon demi-sommeil, j'enrichis la liste: "l. h. v." pour lu à haute voix, "l. e. l.", pour lu entre les lignes... Je me lève d'un bond pied, soulagé, heureux, fier d'appartenir à la communauté des lecteurs approximatifs.
Sur les rayons de ma bibliothèque, il y a des familles de livres. Je les regarde en passant: la couleur de la tranche, le logo, le caractère. Les formes, les motifs que je perçois et qui se recoupent ne renvoient pas aux contenus des ouvrages, mais à une certaine époque de ma vie – estudiantine notamment –, l'époque où je les avais achetés, où j'avais pensé les lire.
Il existe différentes époques de ma volonté de lire. Ce ne sont pas des époques de lecture, parce que je ne lisais pas. (Généralement, la vue des livres ne suffit pas à évoquer le moment où je les ai lus. Parfois, j'écoute un CD et soudain un livre me passe par la tête. Alors seulement, je me dis que j'en ai lu quelques-uns. Mais il faut le CD.) Non, je songe aux après-midi de désinvolture, durant lesquels j'entreprenais le décompte de mes livres, le calcul des livres lus et des non-lus. Longtemps, j'ai noté sur le premier feuillet leur date d'acquisition. Proximité des dates = époque de volonté de lire. Serrement de gorge, souvent, à l'idée que je suis un acheteur, beaucoup plus qu'un lecteur de livres.
L'autre jour, une crise. Je lis René pour me rassurer. À haute voix. Bien fort. Ce n'est pas trop long. Ça fait son effet.
Je repense au type de France Culture. Pourquoi ne pas lancer une pratique similaire pour l'écriture: "n. é.", non écrit (donc écrit ailleurs), "é. s.", écrit subrepticement, "é. n.", écrit dans le noir? Et pourquoi pas "d. é. m.", d'abord écrit à la main, "é. h. v.", écrit hors la ville, "é. d. t.", écrit le dos tourné?

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Jolie idée !
Je devrais peut-être tenter d'introduire ces abréviations dans les quelques travaux écrits qu'il me reste à rendre.
Pour les livres, je fais partie de la même ethnie, plus acheteuse que lectrice. Mais je ne désespère pas : un jour, je les lirai tous ^___^

Anonyme a dit…

p.l.p.é.m.p.b.j.f.l.2
(pas lu pas écrit mais promis bientôt je fais les deux)

Anonyme a dit…

une manière d'assortir au millimètre -vous voyez la jointure hermétique entre les deux coques d'un bivalve- le plaisir de ne pas lire, à la question d'acheter des livres: se rendre en librairie, toujours un samedi dans la foule considérable, et farfouiller une bonne heure dans les rayons, avant de se diriger vers la caisse, salive en bouche, et les bras
chargés de livres beaux et chers. Puis, après l'attente qu'il faut pour éreinter un contemplatif, tourner subitement les talons au moment de pouvoir enfin payer, pour aller reposer chaque livre à sa place, avant de quitter les lieux. La satisfaction ressentie est alors extraordinaire; le fait de ne pas acheter se voit hissé au rang d'action sinon héroïque, du moins d'une maturité tout à fait hors du commun et la perspective de ne pas lire se présente soudain dans la lumière dorée des entreprises parfaitement accomplies, voire des grandes victoires qui révèlent un Empereur.

Bref, voici l'indétermination de nos vagues existences, soudain bornée par deux événements d'une si totale nullité, qu'ils nous font ressembler à ces horloges en panne qui, selon le mot de Woody Allen, donnent malgré tout deux fois l'heure exacte, entre deux levers de soleil

Anonyme a dit…

I have the same problem. I LOVE buying books, probably because of the mere IDEA of reading them. And I end up reading only half of the ones I own.
Mostly, the unread books remain there on the bookshelves as promises of wonderful reading moments to come. Sometimes they give me a headache, especially when I have to move apartments...:-)

Great idea, the abbreviations!

Anonyme a dit…

Bonjour,
Tiens, moi aussi, je "souffre" de la même maladie, et moi aussi,je suis italienne lausannoise.
C'est toujours bon de se retrouver entre personnes qui sont atteintes de la même douce folie! à vos propos j'ajouterai l'angoisse existentielle, à un certain moment de la vie, de se dire... (même lorsque nous arrêterons la vie active)"arriverai-je à les lire tous avant de mourir"? ou de devenir aveugle? ou trop gâteux/se pour lire?
le sentiment désagréable de ne pouvoir jamais réaliser ce petit rêve: aller un beau jour à la librairie en toute bonne conscience, poser une pile de bouquins sous le nez de la caissière en se disant "ah, enfin, je n'avais plus rien à lire à la maison"...